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Lutte anticorruption : ce qui changera avec la loi Sapin III

Mis à jour le Wednesday, September 27, 2023
Publié le Friday, February 24, 2023 par Rémi Lentheric

La loi Sapin II a largement été saluée comme une avancée majeure dans la lutte contre la corruption et la fraude, alignant la France sur les meilleurs standards européens et internationaux en la matière.

Sa réussite ne saurait toutefois éclipser certains points de vigilance, notamment épinglés par le rapport d’évaluation de la loi publié le 7 juillet 2021 par la Commission des lois. Dans cet article de synthèse, Provigis explore les nouveautés attendues dans la troisième mouture de la loi Sapin.

Qu’est-ce la loi Sapin II ?

Promulguée en 2016, la loi Sapin II vise à renforcer la transparence et l’intégrité économique en France. Elle tire son nom de l’ancien ministre des Finances, Michel Sapin, qui a proposé cette loi en réponse à une série de scandales financiers et de corruption qui ont secoué la France ces deux dernières décennies :

  • L’affaire dite « Cahuzac » : en 2013, le ministre français du Budget Jérôme Cahuzac est contraint de démissionner après avoir été mis en cause dans une affaire de fraude fiscale. Cette affaire a suscité un vif émoi en France et a mis en lumière l’insuffisance des mesures de prévention de la corruption et de la fraude fiscale ;
  • Les révélations des « Panama Papers » : en 2016, des journalistes du monde entier ont révélé l’existence d’un vaste système d’évasion fiscale impliquant de nombreuses personnalités politiques et économiques à travers le monde. Cette affaire a mis en évidence la nécessité de renforcer la lutte contre la fraude fiscale et la corruption ;
  • L’affaire « Air Cocaïne » : en 2015, une affaire de trafic de drogue impliquant plusieurs personnalités du monde économique et politique français a été mise au jour. Cette affaire a mis en lumière les liens troubles entre certains acteurs économiques et politiques, ainsi que les failles dans les contrôles de l’État.

La deuxième mouture de la loi Sapin fait suite à la loi Sapin I, adoptée en 1993, qui visait principalement à renforcer la transparence et à « muscler » la lutte anticorruption dans la vie économique et les procédures publiques. Elle faisait là encore suite à des scandales financiers comme l’affaire « Urba », l’affaire du Crédit Lyonnais ou encore l’affaire Pechiney.

Complexe et extensive, la loi Sapin II couvre un large éventail de domaines. En plus de la lutte contre la corruption, elle encadre la protection des lanceurs d’alerte, la prévention des conflits d’intérêts, la transparence des pratiques commerciales et la réglementation des lobbyistes.

Les mesures phares de la loi Sapin II

Dans le détail, la loi a introduit plusieurs mesures fortes pour atteindre ses objectifs et aligner la France sur les normes internationales en matière de lutte contre la corruption :

  • Création de l’Agence Française Anticorruption (AFA), chargée de prévenir et de détecter les actes de corruption, de vérifier la mise en place de programmes de prévention de la corruption dans les entreprises, et de sanctionner les manquements ;
  • Renforcement de la protection des lanceurs d’alerte en leur garantissant une meilleure protection juridique, en créant un statut pour les lanceurs d’alerte et en instaurant des mesures de prévention des représailles ;
  • Instauration d’une obligation de mise en place de programmes de prévention de la corruption pour les entreprises de plus de 500 salariés, ainsi que pour les entreprises exerçant des activités réglementées ou bénéficiant de marchés publics ;
  • Élargissement du champ d’application des règles de transparence pour les représentants d’intérêts (lobbyistes) exerçant une représentation auprès des pouvoir publics, qui sont désormais tenus de s’inscrire sur un registre et de déclarer l’ensemble de leurs activités ;
  • Création d’un dispositif de transaction pénale pour les entreprises ayant commis des faits de corruption, permettant d’éviter un procès pénal en contrepartie d’une amende et de mesures correctives.

Par construction, la loi Sapin II concerne les acteurs suivants :

  • Les entreprises de plus de 500 salariés réalisant un chiffre d’affaires de plus de 100 millions d’euros ;
  • Les sociétés appartenant à un groupe dont la maison-mère siège en France ;
  • Les entreprises publiques et les établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) ;
  • Les associations et fondations qui exercent des activités économiques ;
  • Les organisations syndicales et professionnelles ;
  • Les représentants d’intérêts (lobbyistes) qui exercent une activité de représentation auprès des pouvoirs publics ;
  • Les élus, les hauts fonctionnaires et les magistrats.
Loi Sapin II : quelques lacunes qui appellent une 3e mouture

La loi Sapin II a été saluée comme une avancée majeure dans la lutte contre la corruption et la fraude en France, mais elle a également été critiquée pour plusieurs raisons :

  1. La complexité des procédures : la loi Sapin II instaure des procédures complexes pour les entreprises souhaitant se conformer aux obligations de prévention de la corruption et de la fraude. Certains acteurs économiques ont critiqué la lourdeur de ces procédures, qui peuvent représenter un coût important pour les entreprises ;
  2. Le manque de moyens de l’AFA : certains acteurs estiment que cette agence manque de moyens pour mener efficacement ses missions ;
  3. Les difficultés à sanctionner les entreprises étrangères, limitant l’efficacité de la loi dans un contexte de mondialisation des échanges économiques ;
  4. La faiblesse des peines encourues : malgré des avancées significatives dans la lutte contre la corruption et la fraude, certaines voix se sont élevées pour critiquer la faiblesse des peines encourues en cas d’infraction à la loi Sapin II. Les peines maximales prévues restent relativement « faibles » par rapport à celles prévues dans d’autres pays européens ;
  5. Selon Transparency France, « le registre des représentants d’intérêts est une réforme encore inaboutie, voire décevante » ;
  6. Malgré les mesures prises pour les protéger, les lanceurs d’alerte se heurtent encore à plusieurs obstacles, et leur parcours est parfois coûteux et périlleux.

Toutes ces raisons ont valu à la France une place peu flatteuse au classement de Transparency International sur le niveau de perception de la corruption (23), sans progression depuis 2015. Ce diagnostic rejoint le rapport d’évaluation de la mission d’information de la commission des lois de l’Assemblée nationale, déposé le 7 juillet 2021. Ses rapporteurs, les députés Olivier Marleix et Raphaël Gauvain, appellent à aller plus loin et à donner « un nouveau souffle » à cette politique publique en palliant les nombreuses insuffisances constatées.

C’est ainsi que la proposition de loi n°4586 a été déposée le 19 octobre 2021 pour amender la loi Sapin II, reprenant en grande partie les recommandations des deux députés.

Quelles sont les évolutions proposées pour Sapin III ?

La proposition de loi visant à renforcer la lutte contre la corruption, qui devrait donc déboucher sur la troisième mouture de la loi Sapin, propose des une série de changements pour muscler l’arsenal législatif et élargir le champ d’application de ladite loi.

Nous vous proposons dans un premier temps une liste exhaustive des modifications suggérées dans la proposition de loi, titre par titre et article par article, avant de vous proposer un court résumé.

Titre 1er : les dispositions relatives à la lutte contre la corruption et les atteintes à la probité

La proposition de loi modifie ce premier titre de manière extensive, débordant même sur la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence publique.

Article 1

  • Clarification de la distribution des rôles entre les fonctions gouvernementales et les fonctions de supervision. Concrètement, l’Agence française anticorruption (AFA) maintient la coordination administrative et la programmation stratégique, mais perd le conseil et surtout le contrôle des acteurs publics à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Cette dernière accueille pour l’occasion une commission des sanctions ;
  • Les alinéas 2 à 14 précisent la nouvelle mission de l’AFA, qui sera désormais chargée d’assister le gouvernement dans la définition et la mise en œuvre de la politique de lutte contre la corruption et les autres atteintes à la probité ;
  • Les alinéas 4, 5 et 6 raccourcissent la durée du mandat du directeur de l’AFA, qui passe donc de 6 à 4 ans. Aussi, ce dernier ne doit plus nécessairement être un magistrat ;
  • Les alinéas 15 et 16 suppriment la condition sur la localisation en France du siège social de la société mère. L’article 17 de la loi Sapin III s’appliquera donc également aux petites filiales établies en France des grands groupes étrangers, pour peu que la société mère dépasse les seuils prévus par la loi ;
  • Le rapport publié par la Haute Autorité doit couvrir l’ensemble de ses activités et aviser le Procureur de la République compétent des faits dont elle a eu connaissance dans l’exercice de ses missions et qui sont susceptibles de constituer un crime ou un délit.

Article 2

Cet article prévoit le renforcement des obligations de conformité des acteurs publics d’un côté, puis énumère les « responsables tenus de prendre et de mettre en œuvre les mesures prévues » :

  • Pour les administrations de l’Etat : ministres, présidents d’autorité publique ou administrative indépendante, titulaires d’emplois dont le niveau hiérarchique ou la nature des fonctions le justifient, mentionnés sur une liste établie par décret en Conseil d’État ;
  • Pour les établissements publics relevant de l’État ou des collectivités territoriale dont le montant du total des dépenses du budget exécuté est supérieur à un seuil fixé par décret en Conseil d’État : les présidents de conseil d’administration ou de surveillance, les directeurs généraux ou directeurs ;
  • Pour les communes et leurs groupements dont le nombre d’habitants est supérieur à un seuil fixé par décret en Conseil d’État, les départements, les régions et la collectivité de Corse, ainsi que pour leurs groupements : les maires et les présidents d’exécutif, les directeurs généraux des services ;
  • Pour les personnes morales de droit public et de droit privé chargées d’une mission de service public autre qu’industrielle et commerciale, y compris les organismes de sécurité sociale dont les montants du chiffre d’affaires hors taxes ou des ressources et du total du bilan sont supérieurs respectivement à des seuils fixés par décret en Conseil d’État : les présidents de conseil d’administration ou de surveillance, les directeurs généraux ou directeurs.

Ces personnes sont donc tenues de mettre en œuvre les 8 mesures suivantes « pour détecter la commission, en France ou à l’étranger, des faits de corruption ou d’autres manquements à la probité » :

  1. Un code de conduite régulièrement actualisé ;
  2. Un dispositif d’alerte interne pour le recueil des signalements émanant du personnel et relatifs à l’existence de conduites ou de situations contraires au code de conduite ;
  3. Une cartographie des risques, documentée et régulièrement actualisée pour identifier, analyser et hiérarchiser les risques d’exposition ;
  4. Des procédures d’évaluation de l’intégrité des tiers avec lesquels l’entité concernée est en relation, notamment ses fournisseurs et sous-traitants ;
  5. L’intégration de la maîtrise des risques de corruption dans les dispositifs de contrôle comptable, de contrôle interne et d’audit interne ainsi que de certification de ses comptes, le cas échéant ;
  6. Un plan de sensibilisation et de formation des cadres et des personnels les plus exposés aux risques de corruption ;
  7. Des sanctions adaptées aux manquements au code de conduite ou à toute atteinte à la probité ;
  8. Un dispositif interne d’évaluation et de contrôle des mesures mises en œuvre.

Article 3

Le président du conseil délibérant remet chaque année un rapport spécial sur les initiatives prises pour déployer les mesures de prévention et de détection des faits de corruption. Cet article est décliné pour les communes, EPCI, départements et régions.

Article 4

  • Donne les pouvoirs de contrôle et de sanction à la Haute Autorité ;
  • Sanctions administratives lorsqu’un représentant d’intérêts ne se conforme pas à ses obligations : mise sous astreinte si la mise en demeure n’a pas été suivie d’effet au bout de deux mois. Six mois après la mise sous astreinte, la commission peut prononcer une amende allant jusqu’à 4 % du CA ou 50 % des dépenses engagées pour mettre en œuvre les actions de représentation d’intérêts concernées ;
  • L’article prévoit que les débats devant la commission des sanctions ne sont pas publics, mais la commission des sanctions peut décider la publicité des débats par décision motivée.

Titre II : dispositions relatives à la justice négociée

Ce titre vient essentiellement améliorer le dispositif de la convention judiciaire d’intérêt public afin de favoriser la révélation spontanée des faits de corruption :

  • Extension du champ des infractions au favoritisme ;
  • Pour faire cesser d’éventuels conflits d’intérêts en cas d’enquête interne, notamment dans le cas où certains dirigeants seraient impliqués dans les faits pour lesquels la personne morale est mise en cause, le procureur de la République peut demander, avec l’accord de la personne morale, la nomination d’un mandataire ou d’un comité spécial, selon la taille de l’entreprise ;
  • Renforcement des droits de la personne physique au cours d’une enquête interne ;
  • Les personnes soupçonnées auront le droit de consulter le dossier et d’être informées de la clôture de l’enquête.

Titre III : améliorer la transparence des décisions publiques

  • Augmenter la fréquence des déclarations (au moins deux fois par an) pour réduire le délai entre l’action et sa retranscription dans le registre ;
  • Les décideurs publics doivent tenir à disposition de la HATVP la liste des représentants d’intérêts avec lesquels ils sont entrés en communication ;
  • Le titre III, par le biais de son article 10, crée un gage financier.

La totalité de la proposition de loi pour amender la Sapin II peut être consultée ici.

Comment anticiper l’éventuelle adoption de la loi Sapin III ?

Afin de vous préparer au mieux à ce renforcement (très) probable du cadre réglementaire de la lutte anticorruption en France, vous pouvez dès à présent envisager les mesures suivantes :

  • Évaluer la pertinence de votre dispositif anticorruption et actualiser votre cartographie des risques ;
  • Définir un plan d’action pour neutraliser les risques de non-conformité identifiés ;
  • Assurer le respect des droits des personnes en challengeant les procédures d’enquêtes internes ;
  • Mise en place ou ajustement du dispositif d’alerte interne, avec par exemple la mise en place d’un outil de type EQS Integrity ;
  • Formation et actions de sensibilisation pour la direction et les équipes (anticorruption, compliance, etc.) ;
  • Les nouveaux acteurs susceptibles d’être concernés par la loi Sapin III, comme les établissements publics, devraient dès à présent établir et structurer un programme de conformité anticorruption et lancer la phase de démarrage de mise en conformité.

Provigis accompagne les entreprises dans la construction et l’amélioration des dispositifs anticorruption à travers des solutions d’évaluation des tiers, de cartographie des risques et de dispositifs d’alerte interne. N’hésitez pas à faire appel à nos experts pour être conseillé sur votre stratégie de lutte anticorruption.

REPLAY : Lutte anticorruption et évaluation de vos tiers, les meilleures pratiques à adopter
Rémi Lentheric

Au cœur des enjeux métiers des Directions Achats, notamment par l’animation du Club des Acheteurs (réseau CNA), j’accompagne les grandes entreprises et les PME dans l’utilisation de Provigis depuis plus de 10 ans en garantissant leurs processus de conformité fournisseurs.

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